Helena Rubinstein est née dans le quartier juif de Cracovie de parents commerçants (père petit marchand de combustibles pour lampes à pétrole, mère femme au foyer), juifs orthodoxes (grand-père rabbin) et pas très riches, elle est l’aînée d’une fratrie de huit filles, ce qui lui permit de forger son caractère.
Elle tombe amoureuse d’un garçon non juif qu’elle veut épouser mais son père refuse. Elle veut commencer des études de médecine mais essuye également un refus.
Après s’être réfugiée à Vienne chez sa tante maternelle, elle part à 21 ans, pour l’Australie pour rejoindre un de ses trois oncles qu’elle ne connaît pas, échappant ainsi à un mariage arrangé avec un riche veuf. Elle reste trois ans comme aide domestique chez cet oncle, le temps d’apprendre l’anglais et de peaufiner son projet professionnel : inspirée par un onguent qu’elle tenait d’un ami chimiste hongrois, la crème Valaze, un mélange d’herbes, d’écorces et d’amande, elle crée sa propre pommade pour les peaux abimées des Australiennes, pommade qu’elle fabrique elle-même dans sa cuisine. Devant le succès de cette crème auprès de ses amies, elle crée sa société Helena Rubinstein, ouvre en 1902 sa première boutique à Melbourne et ses « demoiselles célibataires » (l’émancipation des Australiennes se développe depuis qu’elles ont obtenu le droit de vote en 1902), et produit d’autres crèmes, lotions et savons, « comprenant qu’il faut adapter sa formule aux différents types de peau ». Elle se fournit notamment en lanoline, graisse de laine peu coûteuse, et, prenant le contre-pied de ses conseillers, présente ses produits comme luxueux pour les vendre très cher. Elle installe aussi une cabine dans sa boutique, inventant ainsi le concept d’institut de beauté qu’elle appelle « boutique-institut ».
En 1908, ayant l’intuition que beauté et science sont intrinsèquement liées, elle cède la boutique à une de ses sœurs pour parcourir le monde et rencontrer ses futurs relais d’opinions, des scientifiques (dermatologues, diététiciens) et des artistes qui médiatisent ses produits à une époque où poudres et fards avaient mauvaise réputation (marque des prostituées et des comédiennes). La même année, elle se marie à Edward William Titus, journaliste américain et collectionneur bibliophile, avec qui elle a deux fils, Roy Valentine Titus (Londres, 12 décembre 1909 – New York, 18 juin 1989) et Horace Titus (Londres, 23 avril 1912 – New York, 18 mai 1958). Elle s’établit en premier en Angleterre pour ouvrir d’autres enseignes à Londres vendant ses produits. Parmi ses rencontres, elle consultera Marie Curie qui lui apprend que le corps respire aussi par la peau.
Helena affirma : « Mon désir permanent d’être à l’avant-garde de la recherche scientifique a convaincu le corps médical que la beauté n’est pas une chose futile ».
En 1910, elle dresse la classification des types de peau (grasse, sèche, normale). Helena Rubinstein marque ainsi vite la différence et assied définitivement sa notoriété, en imposant à tous ses produits des tests scientifiques rigoureux4; ce qui ne s’était jamais fait auparavant.
En 1912, elle décide de s’installer à Paris parce que « les Françaises ont plus le goût du maquillage que les Anglaises ». Elle va y fréquenter le gratin de l’Intelligentsia parisienne, en particulier le monde de l’art contemporain et des écrivains, parmi ses relations : Marc Chagall, Louis Marcoussis, Louise de Vilmorin, Colette, Misia Sert, Salvador Dalí, Pablo Picasso, qui n’a jamais pu finir son portrait, découragé par son caractère autoritaire, et Jean Cocteau qui l’appelait « l’Impératrice de la cosmétique ». Dans sa « Maison de Beauté » de la rue Saint-Honoré, elle propose des massages et fait parler d’elle en choquant la bonne société bourgeoise. Colette est l’une des premières à accepter de se dénuder pour se faire masser et lancera la mode.
En 1914, Helena Rubinstein laisse son mari Edward William Titus et ses deux fils en Europe, qui sombre dans la guerre, pour s’installer aux États-Unis. C’est à New York qu’elle ouvre son premier institut américain, rapidement suivi d’implantations à Chicago et Boston. Mais cette fois, elle n’est plus la pionnière : elle doit faire face à Estée Lauder, une Hongroise et Elisabeth Arden, une Canadienne, toutes deux déjà bien implantées sur le marché américain. Helena appelle Elisabeth Arden, sa rivale historique, « L’Autre » et cette dernière surnomme Helena « la mafia polonaise » en référence à ses huit sœurs à qui Helena confie des responsabilités dans sa compagnie à chaque fois qu’elle le peut. Certaines publicités d’Estée Lauder et d’elle-même sont épinglées par la FDA pour « affirmations fallacieuses ».
En 1928, elle décide de revendre ses succursales américaines à Lehman Brothers pour 7,3 millions de dollars, un prix exceptionnel à cette époque ; selon la petite histoire, cela aurait été pour sauver son couple, son mari Edward W. Titus la trouvant trop absorbée par son travail. Avec la crise de 1929 qui survient quelques mois plus tard, les cours boursiers s’effondrent. Ne voulant pas voir effacées des années de travail, elle rachète ses actions et ses parts pour 2 millions de dollars. Cette transaction fera d’elle une des femmes les plus riches des États-Unis. Elle collectionne dorénavant les maisons, les bijoux, les œuvres d’art. Mais cette fortune ne sauvera pas son couple et elle divorce de son mari en 1937. En 1934, elle confie la construction d’un immeuble au 24, quai de Béthune à l’architecte-décorateur Louis Süe et ses collaborateurs : Louis Marcoussis, Max Ingrand, Paule Marrot, Richard Desvallières. L’immeuble sera achevé en 19378. Il lui aménage également son Institut de beauté de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. En 1938, elle épouse le prince géorgien Artchil Gourielli-Tchkonia. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle perd toute sa famille juive polonaise et une partie de ses avoirs en Europe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle devient le fournisseur officiel de l’armée américaine, équipant les soldats en maquillage camouflant et démaquillage ainsi qu’en crème solaire.
En 1946, elle utilise en Europe une astuce marketing pour ses produits : les présenter comme des nouveautés venues d’Amérique. Dans les années 1950, avec l’engouement pour tout ce qui venait des États-Unis, elle décuplera sa fortune en quelques années.
Helena Rubinstein meurt à New York le 1er avril 1965, à l’âge de 94 ans, laissant à son fils une fortune colossale, quinze usines et 30 000 employés dans le monde. Sa famille finit par vendre ses nombreuses œuvres d’art. La marque Helena Rubinstein est vendue au groupe Colgate-Palmolive en 1973 et enfin à L’Oréal en 1988 grâce à la négociation de Jacques Corrèze.