La plus parisienne des créatrices, qui a modelé la conscience et la vision de la femme, est aussi habitée par son identité juive.
Le judaïsme, pour Sonia Rykiel, c’est tout d’abord une tradition familiale, liée à un folklore, des souvenirs d’enfance, de grands-parents émigrés qui préparaient des plats traditionnels.
Sa mère était russe, son père roumain, elle se dit « slave de la tête aux pieds ». Ses parents n’étaient pas religieux, mais ils avaient l’esprit du judaïsme. Et l’un de ses oncles était heureux de l’accompagner à la synagogue, lorsqu’elle était enfant : c’est lui qui l’a initiée aux fêtes et aux rites. C’est le judaïsme de parents intégrés à la société française, sur le mode républicain. Et de ceux qui se cachèrent près de Paris pendant la guerre, dans le midi, dans un petit village qui s’appelait Tommery, où ils vécurent abrités.
C’est un judaïsme ashkénaze : tourmenté, angoissé, doutant de tout. C’est le judaïsme de Sam, son mari, qu’elle épouse à la synagogue, en tenue de grand apparat, les hommes en frack et les femmes en robes longues. Et pourtant, ce jour-là, elle est malade. Comme si quelque chose en elle lui disait de ne pas le faire, comme si son corps s’y refusait alors qu’elle entendait la prière qui allait la lier à cet homme pour la vie, « par cet anneau, tu m’es consacrée ».
Mais elle ne peut être consacrée à un homme, Sonia : elle est consacrée à l’art, à la vie, à l’Idéal. Elle ne peut se consacrer à la famille, au mari, et elle ne sera jamais une pieuse épouse juive, cette femme vaillante célébrant le vendredi soir. Elle est d’une autre espèce, elle appartient à une autre famille. Celle des saltimbanques, des nomades de la vie : des artistes. Celle des femmes, indomptables, qu’on essaye depuis toujours de dominer, par les contes de fées, le mariage, l’enfantement, le travail, et les ourlets, qu’elle défait. Mais c’est dans la boutique de vêtements de son mari que Sonia crée sa première robe. Et c’est à partir de cette base-là qu’elle a pris son envol.
Sonia s’est rapprochée du judaïsme grâce à sa plus jeune sœur, Muriel, et à son mari, Philippe, dont la famille vit en Israël. Sonia, qui est devenue amie avec la mère de Philippe, soutient la maison d’étude que cette dernière a créée en Israël, Yad Rachem, pour les enfants. Israël, pour elle, est très important, « sur le plan idéal, romanesque, littéraire, et pour tout ce qui est charité : s’occuper, faire en sorte que je puisse les aider ».
Il y a également une crèche, près de Tel-Aviv, qui s’appelle Rykiel. Sonia et sa fille Nathalie veulent participer, s’occuper, faire en sorte d’aider. Elles aiment l’idée de construire en Israël. C’est quelque chose de constitutionnel, d’essentiel, pour elles.
Du sein de leur identité française, cette identité si importante pour elles – que seraient Saint-Germain et le Flore sans Sonia Rykiel ? Cette identité qu’elles ont contribué à forger, il y a quelque chose qui les dépasse, les étreint. Le judaïsme, comme le dit Nathalie : un sentiment qui n’est pas raisonné mais qui fait partie d’elles, intrinsèquement, viscéralement. l
« Elle est d’une autre espèce, elle appartient à une autre famille. Celle des saltimbanques, des nomades de la vie : des artistes. Celle des femmes indomptables, qu’on essaye de dominer. » (L’Arche)