Histoires de pommes
Certains sont convaincus que la Bible est un récit historique. D’autres y voient plutôt un récit symbolique. Mais une chose est absolument sûre: notre mère Eve n’a jamais donné à Adam Ier, une pomme à croquer.
A l’époque de la rédaction du Tanakh, le pommier était encore un arbre sauvage guère adapté au climat du Jardin d’Eden, arbre dont le fruit n’était attirant ni par l’aspect, ni par le goût, et l’on n’imagine pas le rusé serpent séduire la Femme avec d’aussi pauvres arguments. Certes « tapuakh », qu’on a traduit par pomme en hébreu moderne, figure bien parmi les fruits cités dans l’Ecriture, mais il ne pouvait s’agir de la pomme. Dans la Bible et dans la littérature rabbinique, « tapuakh » est décrit comme un fruit particulièrement aromatique, ce qui n’est guère le cas pour la pomme. On pense plutôt au cognassier ou au citronnier.
On sait d’où vient l’erreur. Lorsque Saint-Jerome rédigea la fameuse Vulgate, traduction de la bible juive en latin, à la fin du IVème siècle, il traduisit l’hébreu «עץ» par « malum » qui désignait en latin classique n’importe quel arbre fruitier. Plus tard lorsque le pommier devint l’arbre fruitier le plus répandu en Europe, « malum » fut compris comme « pommier ».
Coïncidence fatale, « malum » veut aussi dire « le mal ». Mille ans plus tard, et malgré Freud, nous ne nous en sommes pas encore remis.
De leur côté, les sources rabbiniques varient sur la nature du fruit défendu: tantôt figue, tantôt raisin (je suggérerais mi-figue, mi-raisin, mais je ne suis pas un sage de la Torah), voire blé ou citron.
Peut-être influencés par leurs voisins chrétiens, les ashkénazes se mirent aussi à comprendre « tapuakh » comme voulant dire pomme, et dans la recherche constante de donner une sens spirituel à tout usage alimentaire, la pomme devint un met de prédilection dans beaucoup de repas de fête: pommes trempées dans le miel pour Rosh-hashana, kharoset de Pesakh, strudel de Sukoth, pommes distribuées aux enfants pour Simkhat Torah et abondance de pommes dans le tsimes, le kugel, les blintzes du shabbath. Les pommes ne sont pas chères, se conservent bien en hiver ce qui facilitait la tâche de la ménagère juive toujours confrontée au casse-tête de combiner le devoir de célébrer dignement la Loi divine avec la minceur du porte-monnaie.
Les socialistes juifs, “a shmek Marx un a lek Toyre”, imaginèrent d’autres combinaisons à base de pommes. Ils continuèrent à chanter le chant traditionnel du seder « khad gadya » mais avec des paroles différentes où il était question de travailleurs juifs refusant de cueillir les pommes pour le patron, de chat envoyé par celui-ci pour griffer les grévistes mais le chat refusait.
Au XVIIIème siècle, l’Europe centrale devint le haut-lieu de la pâtisserie européenne mais comme la plupart des boulangers y étaient juifs, ceux-ci eurent tôt fait d’en adopter et adapter les recettes pour les besoins de la cuisine juive.
6 – LA RECETTE DU JEUDI : EPL KUKhN (gâteau aux pommes) meringué