Histoires de shtrudl
En allemand, Strudel signifie tourbillon, évoquant ainsi l’enroulement de pâte et de garniture. Comme bien des spécialités de la cuisine occidentale moderne, il tire son origine d’Asie.
Il y a plus d’un millier d’années, des nomades d’Asie centrale commencèrent à rouler très finement de la pâte à pain non levée. La faible quantité d’humidité contenue dans les feuilles très fines augmentaient considérablement leur temps de conservation et elles pouvaient, par temps sec, durer jusqu’à deux ans. Pour consommer une feuille, il suffisait de l’asperger d’un peu d’eau, de la couvrir d’un linge, et de la laisser s’humidifier et se ramollir pendant une dizaine de minutes. On pouvait ainsi nourrir la famille pendant de longs mois de migration.
Les Turcs emportèrent la recette vers l’Ouest, le long de la Route de la Soie.
Aux alentours du XV° siècle, ils commencèrent à ajouter un peu d’huile dans la pâte, ce qui permettait de l’étaler encore plus fin, et à découper la feuille en morceaux et à les disposer en couches garnies de beurre clarifié et de garniture. Le börek et le baklava étaient nés.
Quand les Turcs conquirent les Balkans et la Hongrie, ils importèrent le procédé au coeur de l’Europe. Mais là, les cuisiniers prirent l’habitude de garnir et de rouler une grande feuille de pâte.
Roumains et Hongrois se disputent l’honneur d’avoir inventé le roulé mais il est certain que ce sont les Hongrois qui multiplièrent les variétés de garniture.
Lorsque les Turcs refluèrent et que la Hongrie fut absorbée dans l’empire autrichien, le roulé migra vers le nord où il fut renommé Strudel, en allusion dit-on, à un gros tourbillon dans le Danube en amont de Vienne.
Au milieu du XVIII° siècle, le Strudel, introduit à la Cour de l’impératrice Marie-Thérèse, devint la pâtisserie nationale de l’Empire, de la Bavière à l’Italie du Nord et la plus grande partie des Balkans. Comme nombre de pâtissiers en Autriche étaient juifs, le Strudel entra aussi dans le répertoire culinaire ashkénaze.
L’élaboration d’une feuille de pâte aussi fine que possible nécessitait un long travail, aussi les ménagères juives eurent tendance à réserver le “shtrudl” pour les grandes occasions, principalement Rosh Hashanah et Sukkot, en profitant de la nouvelle récolte de pommes. Les ménagères plus habiles ou ambitieuses en préparaient pour le shabbath en utilisant d’autres sortes de garnitures, graines de pavot, chou salé ou sucré, etc… Le “shtrudl” au pavot était de tradition pour Purim. Le “shtrudl” aux cerises, au fromage était préparé pour Shavuot. En Roumanie et en Hongrie, on utilisait aussi de la pâte à gâteaux pour préparer du “haymish shtrudl” et du “gebleterter (feuilleté) kugel”. Et pour Pesakh, naturellement du “shtrudl” à base de farine de matsoth.
En Israël, le nom hébreu officiel est “krukhit”, mais on emploie couramment le terme “shtrudl”.
Et c’est aussi le terme utilisé pour désigner le symbole @. Bien vu, non?
(d’après Gil Marks)