Mala, Mally pour les intimes, en réalité Malka Zimetbaum, fille de Pinkas Zimetbaum-Hartman et de Chaya Schmelzer est née le 26 janvier 1918 à Brzesko, en Pologne. Cinquième et dernière enfant du couple, véritable garçon manqué, elle manifeste très tôt un goût prononcé pour la lecture et les langues. Outre le polonais et le yiddish, elle pratique l’allemand, le français, le russe, le flamand et l’anglais. Lorsque les Zimetbaum réalisent que les conditions de vie pour les Juifs en Pologne vont en se dégradant, la famille émigre. Pinkhas Zimetbaum se retrouve d’abord seul, en 1926, à Anvers, en Belgique. Son épouse et ses enfants le rejoignent, le 12 mars 1928.
En 1933, Mala adhère au mouvement scout de jeunesse sioniste Hanoar Hatsioni, avec, en toile de fond, un projet déjà bien ancré dans sa tête : rejoindre l’État juif en gestation pour vivre dans une société égalitaire idéale, le kibboutz.
1939. Mala a vingt et un ans. Une belle brune aux yeux gris. Les bruits de bottes se font menaçants en Europe. Le 18 mai 1940, Anvers tombe aux mains des troupes allemandes. Désormais, pour les 70 000 Juifs de Belgique, c’est le début de la fin : politique anti-juive, restrictions, travail forcé, étoile jaune…
Le 22 juillet 1942, Mala est arrêtée et incarcérée au Fort Breendonck avant d’être transférée à Malines avant d’être convoyée, le 15 septembre vers Auschwitz-Birkenau.
Rapidement sélectionnée pour la chambre à gaz, elle en échappe miraculeusement grâce au premier adjoint au commandant du camp qui a tôt fait de remarquer les qualités de cette déportée. Nul doute, dans son esprit, que cette polyglotte serait plus utile aux nazis vivante que morte.
Et Mala sera “Lauferin”, coursière, une sorte de factotum aux ordres de la Chef, la Lagerführerin Maria Mandel, surnommée “la Bête” et de ses deux adjointes, Irma Grese et Margot Dreksler.
Quel charme, quel ascendant, la petite juive polonaise a-t-elle pu exercer sur ses geôlières pour disposer de la liberté qui sera la sienne? Difficile à dire. Le fait est, toutefois, que Mala, “interprète-chef” du camp, bénéficiera d’un statut privilégié tant du point de vue de ses conditions de “logement” que de la nourriture dont elle peut disposer ou des vêtements auxquels elle a droit.
Elle aurait pu profiter de cette chance pour se contenter égoïstement de ces avantages personnels. Ce qui fait la grandeur de Mala, c’est sa volonté, dès le début, de faire bénéficier les autres de son statut : conseils, encouragements, passe-droits, interventions providentielles pour épargner les malades et les plus faibles.
Raya Kagan, une survivante, explique ainsi qu’un jour une camarade est venue la trouver : “Des nouvelles pour toi de Birkenau”. Elle s’est alors précipitée vers les toilettes, c’était l’endroit convenu pour les réunions secrètes, Mala l’y attendait et lui dit qu’elle avait les salutations de son amie mais qu’elle était malade et avait besoin de médicaments : Digitalis ou Cardiazol. Raya Kagan lui répond désespérée qu’elle n’en a pas mais qu’elle essayera de s’en procurer bien que personne n’ose chaparder dans Birkenau. D’un geste de la main, Mala l’interrompt et lui dit:”Je le ferai” et c’est ce qu’elle fait.
Parallèlement, une obsession la taraude : comment faire savoir au monde extérieur ce qui se passe dans les camps ?
Sa rencontre, le 5 septembre 1943, avec un détenu polonais, Edward, dit Edek ou Edziu Galinski, dont elle tombe amoureuse, va la conforter dans son projet d’échapper à Auschwitz. Pour vivre et pour témoigner.
Avec des complices, un plan astucieux est échafaudé. Mala se déguisera en plombier chargé de transporter un lavabo et Edek en soldat SS supposé l’escorter. Le 24 juin 1944, Mala, déportée n°19880 et Edek parviennent à s’échapper.
Leur évasion ne sera détectée qu’à l’appel du soir. Des télégrammes partent vers tous les postes de contrôle allemand. Edek et Mala se dirigent vers la frontière slovaque mais sont repris, après douze jours de liberté, le 6 juillet 1944 à Beskid Zywiecki.
Mala est arrêtée la première. Edek, quant à lui, préfère se livrer plutôt que de l’abandonner en tentant de fuir seul. La police allemande les emmenent au poste de Bielsko où ils seront formellement identifiés le lendemain sur la base de leur matricule tatoué sur l’avant-bras.
Ramenés au camp, ils sont conduits au Block 11, le bloc de la mort. Ils seront longuement interrogés et torturés. Ils ne livrent aucun nom et pour ne pas s’impliquer l’un, l’autre, maintiennent la version selon laquelle ils ont agi séparément.
Dans le pavillon, ils maintiennent néanmoins le contact. Edek fredonne la chanson préférée de Mala, il grave sur le mur de sa cellule (no 20) : Edward Galinski, no 531, Mally Zimetbaum, no 19880, 6 VII 1944. Mala fait passer un message à son amie Giza Weisblum qui témoignera par la suite : “Je sais ce qui m’attend. Je suis préparée au pire. Sois courageuse et souviens-toi de tout”.
Après plusieurs semaines de détention au bloc 11, ils sont condamnés à mort par pendaison, la sentence est approuvée par le RSHA11. Les sentences seront appliquées simultanément et elles seront publiques pour marquer les esprits et terroriser les autres détenus. Mala sera exécutée au camp pour femmes B-Ia et Edek au camp pour hommes B-Id12,13, le 15 septembre 1944.
L’exécution se déroule après l’appel du soir. On ordonne aux détenues — des milliers — de se rassembler près du Block 4. Maria Mandel, Margot Dreschel et plusieurs gardes SS sont également présents lorsque le SS Unterscharführer Ruiters amène la prisonnière.
Mala, tandis que la sentence était en train d’être prononcée, parvient à se sectionner les veines du poignet au moyen d’une lame dissimulée dans sa chevelure. Ruiters tente de l’en empêcher violemment, elle le gifle au visage de sa main ensanglantée. “Je sais que je vais mourir, mais cela importe peu. Ce qui importe, c’est que vous mourrez aussi, vous et votre Reich criminel. Vos heures sont comptées et, bientôt, vous payerez pour vos crimes”, lui lance-t-elle au visage.
Conduite à l’infirmerie pour stopper l’hémorragie, elle est placée ensuite sur un brancard et conduite au crématoire pour y être brûlée vive.
Edward Galinski quant à lui, tandis que l’officier lit la sentence, choisit de se donner la mort lui-même en plongeant la tête dans le nœud coulant et en donnant un coup de pied dans la chaise qui le maintient. Violemment poussé en arrière, le nœud est desserré et la lecture du verdict se poursuit. En signe de respect, les détenus ôtent leurs couvre-chefs. Les dernières paroles d’Edek sont : “Vive la Pologne!”
Pour connaître en détail toute l’histoire de Mala, on lira la biographie que lui a consacré, au terme d’une minutieuse enquête, le psychanalyste Gérard Huber.
“MALA: une femme héroïque dans le camp d’Auschwitz-Birkenau” préfacé par Simone Veil, aux Editions du Rocher.
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