Haika Grosman est née à Bialystok le 20 novembre 1919. Elle était la troisième et plus jeune enfant de Nahum (1890-1942) et Leah (née Apelbaum) Grosman (1891-Treblinka, août 1943), membre d’une famille riche imprégnée de tradition juive et de culture, vivant dans une ville dont la moitié des habitants (environ soixante mille) étaient juifs.
Haika, parlait yiddish et hébreu à la maison et apprit le polonais à l’école. Elle étudia au très réputé lycée Tarbut, qui excellait dans les humanités. “J’ai eu le meilleur de tout”, a-t-elle écrit dans ses mémoires, “de beaux vêtements que ma mère et ma sœur m’obligeaient à porter, des livres dont je m’occupais moi-même.”
Dès son plus jeune âge, sa vie fut mêlée au projet sioniste. A onze ans, Haika rejoignit l’HaShomer Hatsaïr, le mouvement de jeunesse socialiste qui attirait l’élite de la jeunesse juive. Ce mouvement enseignait une idéologie socialiste et préparait l’immigration vers Israël, et encourageait également l’étude des sciences sociales et de la littérature et du folklore yiddish.
À la fin de ses études à Bialystok en 1938, elle s’inscrivit à l’Université hébraïque de Jérusalem, fut admise et reçut un certificat d’immigration. Mais la direction du “mouvement” lui expliqua qu’on avait encore besoin d’elle et qu’elle devait continuer à coordonner l’instruction du “mouvement” dans l’est de la Pologne. Militante consciencieuse et fidèle, Haika accepta la décision et reporta son émigration. Ce fut la première mais non la dernière fois qu’elle renonça à ses plans personnels pour le bien commun.
Quelques jours après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants du mouvement emmenèrent Haika Grosman à Varsovie, où elle fut informée qu’elle avait été élue membre de la “direction alternative” choisie pour diriger le “mouvement” pendant la guerre, puisque les dirigeants plus chevronnés, bien connus des autorités, étaient contraints de se retirer vers l’est. Haika avait dix-neuf ans à l’époque. En septembre 1939, la Pologne succomba aux troupes allemandes. Des milliers de réfugiés juifs remplissaient les routes vers l’est, vers les territoires occupés par les Russes. Parmi eux, se trouvaient les jeunes des mouvements haloutsiques. Haika arriva à Vilna (Vilnius), où elle s’occupa d’instruire les diplômés dans la grande communauté de Kovno (Kaunas). Lorsque l’armée soviétique conquit la Lituanie et que les “communes” entrèrent dans la clandestinité, elle retourna à Vilna et s’impliqua dans l’activité clandestine. Le “certificat pour l’aliyah” lui parvint encore une fois. Une fois encore, le “mouvement” l’informa qu’elle était nécessaire et Haika décida de rester. A la suite l’invasion allemande de l’URSS en juin 1941, Vilna fut capturée. Des milliers de jeunes, dont les plus remarquables de son mouvement, se tournèrent vers l’est. A un coin de rue dans la ville de Vilna, les membres de la jeune direction se réunirent pour une consultation rapide. Ils décidèrent de partir. Haika annonça qu’elle restait. En tant que femme, il serait plus facile pour elle de se délacer. De plus, son physique “aryen” la protégerait.
Des milliers de juifs de Vilna furent capturés et déportés vers le site d’extermination en masse de Ponary, à dix kilomètres de Vilna. Le 6 septembre 1941, les quelques Juifs qui restaient dans la ville furent transportés vers le Ghetto. Haika, adoptant une fausse identité, sortit du Ghetto, traversa les limites des zones d’occupation et atteignit les membres du “mouvement” dans de nombreux ghettos, y compris Varsovie, où elle rapporta les meurtres en masse qui se déroulaient dans l’est de la Pologne. Elle participa au rassemblement du “mouvement” dans un couvent près de Vilna, où le groupe, dirigé par Abba Kovner (1918-1988), décida la résistance armée. Envoyée à Bialystok pour organiser la lutte clandestine, elle fit office de liaison entre Vilna, Bialystok et d’autres ghettos. Haika était une jolie jeune femme qui conservait une présentation presque élégante même dans les conditions de la guerre, tout en effectuant des missions dangereuses. Ses “munitions” étaient la débrouillardise, l’audace, le courage, le sang-froid et la vigilance constante, ce qui la sauva de situations quasi-désespérées.
“Ma règle”, raconta-t-elle, “était de ne pas faire de sentiment. Mon sac était toujours net, pas de photographies personnelles, pas de souvenirs. Je n’ai jamais écrit un mot, je n’ai gardé ni journal ni notes. Tout était mesuré et calculé.” Dans le ghetto, elle et son proche ami Edek Borks (1943) s’efforcèrent sans relâche d’unifier les mouvements de jeunesse sionistes et communistes clandestins. Elle fut le personnage central dans les négociations avec Efraim Barasz (1892-1943), président du Judenrat de Bialystok (Conseil juif), pour l’inciter à permettre l’activité clandestine et obtenir son soutien. Le front uni, dirigé par Mordechai Tennebaum (1916-1943), ne fut formé que le 16 août 1943, à la veille de l’action allemande pour exterminer le Ghetto de Bialystok. Le soulèvement désespéré qui éclata fut rapidement écrasé par les Allemands, qui avaient appris la leçon du Ghetto de Varsovie. Haika réussit à échapper du côté aryen, en faisant des adieux précipités à sa mère, qui était dans le convoi des déportés. Entre août 1943 et août 1944, Haika participa à la formation d’un groupe de six femmes à Bialystok, dénommé “le comité antifasciste”. L’objectif de leur dangereuse activité était de maintenir le contact avec la brigade de partisans soviétiques dans la forêt: elles conduisaient des Juifs vers eux, établissaient des relations avec des Allemands antifascistes dans la ville et utilisaient leur aide pour acquérir des munitions pour la résistance et les partisans.
Lors de la capitulation des troupes allemandes, Haika Grosman et ses amis marchaient en première ligne, côte à côte avec les combattants de la brigade soviétique qui entrèrent dans la ville en août 1944. Haika, qui reçut du gouvernement polonais la plus haute médaille nationale pour extrême courage, resta à Bialystok, mais refusa l’appel répété de ses amis à rejoindre officiellement la direction communiste. En même temps, elle intégra le nouveau régime et servit dans les forces de sécurité qui recherchaient les collaborateurs nazis. À cette époque, à la fin de 1944 et au début de 1945, ce qui restait des directions des mouvements Haluts cherchait un moyen d’atteindre les survivants des camps et les réfugiés qui étaient rentrés d’URSS. Les membres de HaShomer Hatsaïr en Pologne retrouvèrent Haika et, lors d’une rencontre chargée d’émotion, se firent le récit des difficultés et des horreurs de leurs expériences personnelles. Informant ses supérieurs des forces de sécurité qu’elle rejoignait ses camarades sionistes juifs, Grosman retrouva la communauté à Varsovie en avril 1945. Jusqu’à son émigration vers Israël en mai 1948, elle opéra principalement dans le domaine politique, en tant que chef du département de la jeunesse du Comité juif central formé par les autorités polonaises. En tant qu’ héroïne de guerre reconnue, elle établit des liens politiques qui l’aidèrent à organiser des institutions pour l’accueil des enfants réfugiés. En même temps, elle devint la figure centrale qui, avec Yitzhak Zuckerman (Antek, 1915-1981) favorisa l’établissement d’une organisation qui chapeautait tous les mouvements de pionniers, persuadée que l’unité était nécessaire pour la réadaptation des survivants et leur immigration en Palestine. Avec Antek, elle participa à la première conférence des dirigeants sionistes, tenue à Londres en août 1945. Bien que les deux magnifiques personnes, représentatives de l’héroïsme juif pendant la Shoah, reçurent un accueil admirable, elles ressentirent la solitude de leur lutte. À Londres, Haika ressentit pour la première fois le poids de la domination politique du Yishuv. Ya’akov Hazan (1899-1992) et Meir Ya’ari (1897-1987), les dirigeants du HaShomer Hatsaïr, la chargèrent de s’opposer à l’unification des mouvements Halutz établis en Pologne. Haika résista et discuta, mais accepta finalement le verdict.
En 1948, Grosman arriva en Israël au milieu de la Guerre d’Indépendance. Jeune femme hautement expérimentée, chef sans troupes, elle fut accueillie avec une grande émotion, mais devait faire ses preuves à nouveau. Au Kibbutz Evron, elle rencontra son chef de groupe d’avant-guerre, Meir Orkin (né en 1914) avec qui elle se maria.
Le 21 septembre 1949, un jour après avoir terminé son ouvragemonumental, “Les gens de la clandestinité”, Haika donna naissance à sa première fille, Leah. Dans ce livre, elle décrivait les souffrances des membres du HaShomer Hatsaïr et d’autres mouvements, ainsi que des Juifs de Vilna et de Bialystok.
En 1950, elle fut élue à la tête du conseil local de Ga’aton, une région qui comprenait des kibboutzim, des camps de transit de nouveaux immigrants et des villages arabes. Nouvelle immigrante elle-même, Haika Grosman s’impliqua dans la réadaptation des populations d’après-guerre, tant arabes que juives, traitant avec compétence les problèmes délicats de la terre, du chômage et du logement. Elle s’intégra rapidement dans la vie au kibboutz, travaillant à la cuisine, instruisant les jeunes et servant de secrétaire au kibboutz, mais son instinct politique la laissait inquiète.
Elle devint secrétaire du Mapam (Parti pionnier sioniste travailliste de gauche) dans la région de Haifa, participant aux luttes des syndicats ouvriers. En 1969, elle fut élue à la Knesset en tant que représentante du Mapam, à l’époque allié avec le Parti travailliste israélien.
A la Knesset Haika, fut chef de la Comission des services publics. Son principal centre d’intérêt et sa contribution portèrent sur la législation sur les questions sociales, les jeunes en détresse, le statut des femmes et la lutte pour l’égalité, les quartiers défavorisés, la santé et les problèmes des personnes âgées. Elle fut également active dans le dialogue permanent avec la population arabe du pays. Vers la fin de son activité à la Knesset, elle coordonna le groupe parlementaire du Mapam et devint vice-présidente de la Chambre.
Grosman reprit son activité consacrée à la mémoire de la Shoah dans le mouvement des kibboutz et en Israël alors qu’elle était déjà une personnage public important. En 1988, après la mort de Rozka Korczak, elle fut nommée présidente de Moreshet, coordonnant de vastes activités éducatives pour inculquer la mémoire de la Shoah. Elle participa également à la publication de livres et de périodiques, tout en consacrant la plus grande partie de son énergie à la collecte de fonds pour la création d’une maison de commémoration des activités des mouvements de jeunesse halutziques pendant la Shoah, un projet qu’elle ne put malheureusement pas accomplir.
Haika Grosman était une femme intégre qui n’hésitait jamais à exprimer ses opinions de manière ouverte. En 1945, lors d’une conférence à Londres, elle affronta les participants avec les mots: “La guerre est terminée depuis des mois et ni messager ni argent n’est arrivé d’Erez Yisrael”. Bien qu’elle ait été choisie par son parti comme candidate au cabinet israélien, elle prit la tête de l’opposition à rejoindre le gouvernement parce que sa plate-forme n’était pas conforme aux principes du parti.
Lors de ses rencontres avec les dirigeants mondiaux, elle ne s’abstenait jamais de les réprimander, comme elle le fit avec le Premier ministre polonais, Myeczyslaw Rakovsky, pour ses accusations contre les Juifs pendant la crise économique. Elle rabroua le ministre russe des Affaires étrangères, Evgeny Primakov, pour son soutien au nationalisme arabe et les dirigeants allemands pour leur déni de la responsabilité allemande pour les actes nazis. Elle parlait d’une voix claire et directe. Ses adversaires politiques en Israël la respectaient pour son intégrité et ses positions. Menahem Begin (1913-1992) la considérait comme une “sœur de combat”.
Tout en remplissant tous les devoirs d’un membre du kibboutz, elle tenait à conserver une allure élégante, chose plutôt rare parmi les membres féminins des kibboutz à l’époque.
Grosman, qui atteignit la maturité pendant la Shoah, connut l’horreur, combattit et survécut, s’opposait formellement aux opérations de vengeance après la guerre et était contre la haine de l’autre comme dernier recours de la victime. Dans sa vie politique, elle défendit toujours l’égalité civile complète pour la population arabe, ainsi que la justice sociale et la paix. Sa dernière mission publique fut d’accompagner le Premier ministre Yitzhak Rabin (1922-1995) aux cérémonies commémoratives de la Journée de la Mémoire de la Shoah en Pologne en 1993.
La veille du Jour de l’Indépendance en 1993, Haika reçut l’honneur d’allumer une torche lors de la cérémonie d’ouverture au Mont Herzl. Lors d’une cérémonie à Abu Ghosh, qui se tenait dans la maison de Muhammad Musa Abu Ghosh, Haika déclara: “Je suis très heureuse d’avoir été honorée comme ex-membre de la Knesset et comme survivante de la Shoah pour allumer une flamme aux côtés d’un Arabe qui a lié son destin à l’État d’Israël. Je sens les étapes de la paix approcher.”
À la fin de la cérémonie, en sortant, elle trébucha sur les marches, tomba et subit des lésions cérébrales. Pendant trois ans, elle resta sans connaissance, soutenue par son mari, sa famille et ses membres. Elle s’éteignit le 26 mai 1996.
(Source: Jewish Women’s Archive)