Tosia (Taube) Altman nait le 24 août 1919, fille de Anka (Manya) et Gustav (Gutkind) Altman, à Lipno, en Pologne. Elle grandit à Wloclawek, où son père horloger père tient une boutique de bijoux et de montres. Sioniste rattaché au courant des Sionistes généraux (ancêtre du Likoud d’aujourd’hui), son père se distingue comme un membre dévoué et actif dans les institutions de la communauté juive locale.
Le foyer familial est marqué par une atmosphère culturelle chaleureuse et ouverte. Tosia apprend le polonais et l’hébreu et se fait remarquer par son don pour les langues et son amour de la lecture. Le lycée hébraïque et le mouvement de jeunesse HaShomer Hatsaïr ont des influences idéologiques déterminantes sur sa vie. Altman se fait connaître comme une leadeure talentueuse de groupe de jeunes, engagée dans le mouvement et ses valeurs. Elle est élue à la direction de la branche locale, qui l’envoie comme déléguée à la Quatrième Convention mondiale du HaShomer Hatsaïr en 1935. C’est pour elle une expérience forte et émouvante. Elle rejoint le kibboutz d’entraînement à l’aliyah (hakhsharah) à Czestochowa en 1938, mais elle est bientôt chargée de l’éducation des jeunes pour la direction centrale du HaShomer Hatsaïr à Varsovie, ce qui entraîne le report de son aliyah.
Au déclenchement de la guerre et à l’annonce de l’évacuation de Varsovie (7 septembre 1939), un appel est lancé pour que les membres des mouvements de jeunesse se déplacent vers l’est. En compagnie d’Adam Rand (de la direction du HaShomer), Tosia fait le chemin, principalement à pied, jusqu’à Rovno, au milieu de réfugiés en fuite et sous les bombardements aériens. Là, les membres de la direction et de nombreux jeunes sont réunis pour décider de la suite. L’entrée de l’armée soviétique dans l’est de la Pologne confronte les membres du HaShomer au dilemme du choix entre le sionisme et le communisme. Pour l’éviter, ils continuent à fuir vers Vilna, qui n’est pas encore sous contrôle soviétique, en espérant accomplir leur aliyah à partir de là. Les membres des groupes de jeunes pionniers de toute la Pologne occupée sont maintenant réunis à Vilna, en Lituanie, avec leur direction. Ils mettent en place un quartier général central qui lance immédiatement une série de tentatives infructueuses pour immigrer illégalement en Palestine.
La direction du HaShomer à Vilna est extrêmement préoccupée par le sort des membres du mouvement qui ont été laissés derrière sous occupation allemande sans les dirigeants de groupes de jeunes. En tant que membre de la direction, ayant la personnalité et l’apparence appropriées, Tosia est chargée de retourner vers le General Gouvernement (Pologne occupée par les nazis). Bien qu’elle ait des membres de sa famille à Vilna et qu’elle commence seulement à se remettre de l’épreuve de son voyage récent, Tosia accepte la mission. Elle est la première à retourner en Pologne occupée (suivie plus tard par Josef Kaplan, Mordecai Anielewicz et Samuel Braslav). Après deux échecs pour traverser à la fois les lignes soviétique et allemande, elle réussit finalement. Tosia commence à rassembler les dirigeants restants des groupes de jeunes et à organiser les branches du mouvement. L’arrivée de nouveaux membres lui permet d’étendre ses activités. Elle commence à faire des tournées dans d’autres villes, malgré le fait que les Juifs soient interdits de voyage dans les trains. Dans chaque ville qu’elle atteint, elle encourage les jeunes à s’engager dans des activités éducatives et sociales clandestines. A Varsovie, une direction a émergé qui fait face le mieux possible aux problèmes de vie et de mort de la jerunesse. Des tentatives ont lieu pour créer des kibboutzim et des collectifs et publier un journal. Tosia correspond avec la direction à Vienne (Adam Rand), le mouvement en Palestine et les émissaires en Suisse (Nathan Schwalb et Heine Borenstein). La correspondance est codée par crainte de la censure allemande.
L’enfermement au ghetto de la population juive de Varsovie et de ses environs (novembre 1940) rend les déplacements encore plus difficiles. Ses cheveux blonds et son polonais fluide ne suffisent plus. A chaque voyage, elle risque la mort. Les faux papiers, les documents et les tampons périmés, et les informateurs polonais qui “reniflent” les Juifs sont un péril constant. Mais Tosia continue à se rendre dans les villes de Galicie, dans la région de Zaglebie (1941) et à Czestochowa. Ses visites sont une source de force et d’encouragement pour les jeunes.
À la suite de l’invasion allemande de l’Union soviétique (22 juin 1941), le contact avec le mouvement à Vilna est coupé et la direction du HaShomer à Varsovie se considère comme responsable pour tout le mouvement. Des rumeurs commencent à arriver sur le massacre des Juifs en Ukraine, en Serbie et en Lituanie, décrits comme des “pogroms”. Sans contacts ni papiers d’identité, Tosia part pour Vilna, après qu’un jeune scout polonais, Henryk Grabowski, soit revenu avec des rapports de massacres systématiques. Elle arrive à Vilna après un voyage ardu, apparemment le 24 décembre 1941. Elle pénètre dans le ghetto, avec Haika Grosman, la veille de Noël. A une réunion de membres du HaShomer, elle raconte les conditions de vie désespérées dans le ghetto de Varsovie et le mouvement vivace qui existe là malgré tout. Aux membres de la direction centrale, elle propose de retourner à Varsovie afin de sauver le noyau militant pour le bien du mouvement, mais laisse la décision entre leurs mains. Ils refusent pour une raison déchirante: ils se sentent responsables des jeunes. De plus, il n’y a plus d’endroit où s’enfuir. Dans l’opinion d’Abba Kovner, le massacre n’est pas de nature locale. Son objectif est l’extermination totale du peuple juif. On informe Tosia qu’une décision a été prise par les dirigeants des divers mouvements de jeunesse à Vilna selon laquelle les Juifs ne devaient pas aller à leur mort sans se battre (“Ne nous rendons pas comme des moutons à l’abattoir”, selon le manifeste rédigé par Abba Kovner). Tosia intériorise l’esprit de résistance. (Elle a peut-être également délivré le manifeste aux membres du HaShomer à Varsovie).
Avant de retourner à Varsovie, elle réussit à visiter Grodno et d’autres villes de l’est de la Pologne. Elle retourne chez ses camarades avec un message clair: les Juifs sont massacrés systématiquement, et ils doivent résister. À Varsovie, on a du mal à admettre que la catastrophe les atteindrait. Mais ils reçoivent bientôt une confirmation, sous forme d’informations sur le camp de la mort de Chelmno dans le Generalgouvernement. Quelque temps après (18-26 mars), la déportation massive de Lublin à Belzec commence. Dans le cadre de l’effort d’autodéfense à Varsovie (mars 1942), les dirigeants des partis de gauche (communistes, gauche Po’alei Zion, HaShomer Hatsaïr et Dror HeHaluz) ont organisé un bloc antifasciste dans le but de recruter des jeunes pour la lutte des partisans, avec l’aide des communistes polonais et des armes soviétiques. Mais le bloc, ne reçoit ni armes, ni assistance, et éclate rapidement.
Tosia continue à se rendre dans les ghettos de Pologne, jetant les bases de la résistance chez les jeunes. Mais elle est témoin directe de la destruction des juifs polonais. Dans sa dernière lettre envoyée en Palestine depuis Hrubieszow (datée du 7 avril 1942), elle écrit comment elle est anéantie par la vue de la destruction, et l’incapacité d’aider: “Les Juifs meurent sous mes yeux et je suis impuissante à les aider. Avez-vous déjà essayé de briser un mur avec votre tête? ”
Après la première vague de déportations de masse du ghetto de Varsovie vers Treblinka (juillet-septembre 1942), l’Organisation Juive de Combat (Zydowska Organizacja Bojowa ou ZOB) est créée, à la suite de négociations avec les chefs des partis socialistes et sionistes. Tosia, membre de la direction centrale du HaShomer, est envoyé du côté aryen pour entrer en contact avec la résistance polonaise “Armia Krajowa” (AK) et “Armia Ludowa” (communiste) afin d’obtenir des armes et un soutien . Leur contribution est minimale, mais Tosia et d’autres femmes réussissent à mettre la main sur des grenades et des armes supplémentaires obtenues à grand risque.
Le 3 septembre 1942, la direction du HaShomer dans le ghetto perd deux de ses membres clés, Josef Kaplan et Samuel Braslav, capturés par la Gestapo. La cache des armes introduites clandestinement par une jeune femme est également découverte. La dure Aktion menée ce mois-là en utilisant la méthode du “kociol” (chaudron), par laquelle les Juifs sont attirés hors de leurs cachettes, piégés dans une petite zone et déportés vers les camps de la mort, aggrave le coup. Sur les six cent mille habitants juifs du ghetto, seulement cinquante à soixante mille sont encore en vie. Tosia a été rejointe par Arie (Jurek) Wilner afin de hâter l’acquisition d’armes. Elle continue ses voyages vers les différents ghettos, maintenant comme émissaire du ZOB. Parfois, elle réussit à sauver des jeunes hommes et femmes de l’envoi à la mort. Elle se rend à Cracovie pour organiser la coopération avec deux groupes clandestins: He-Haluz ha-Lohem et l’organisation de combat Iskra (Spark), un groupe similaire au HaShomer, opérant avec l’aide du PPR (Polska Partja Robotnicza, ou Parti des travailleurs polonais). Ces deux organisations furent en fait responsables du plus grand succès de l’effort de combat juif à Cracovie.
Le 18 janvier 1943, une Aktion supplémentaire est réalisée dans le Ghetto de Varsovie. A cemoment-là, Tosia était revenue au ghetto. Les unités de la ZOB sont dispersées, tout comme les armes. Il y a des poches de résistance spontanée ici et là, sous forme de tirs depuis divers bâtiments. Anielewicz, commandant de la ZOB, avec une partie de ses combattants, se mêlent aux masses en attente de déportation et attaquent les troupes allemandes. Bien que blessé, il survit miraculeusement. La plupart de ses camarades de la ZOB sont tués dans cette action. Un certain nombre d’autres, y compris Tosia Altman, sont capturés lors de la rafle qui suit. Emmenée à l’Umschlagplatz, Tosia est sauvée par un membre de la police juive qui agit pour le compte du HaShomer.
Malgré le sentiment de défaite, un nouveau plan de résistance est mis sur pied: le ghetto est divisé en sections, des unités de combat distinctes sont crées et les armes réparties. La ZOB a joué un rôle majeur dans ce processus. Les Juifs restants dans le ghetto commencent à construire des bunkers. La révolte de janvier a entraîné un changement dans l’attitude de la résistance polonaise (AK), qui fournit une petite quantité d’armes à la résisatnce juive. Le reste est obtenu par Altman et Wilner auprès d’éléments criminels qui font du trafic d’armes. En mars 1943, Wilner est pris par la Gestapo et brutalement torturé, mais il ne trahit aucun de ses camarades. Il est sauvé par le jeune Polonais, Henryk Grabowski, qui le ramène, blessé et malade, au ghetto. Tosia retourne au ghetto également, de crainte que sa planque ait été découverte. Yitzhak Zuckerman est envoyé comme liaison avec la résistance polonaise.
Le 18 avril 1943, le ghetto est encerclé par la gendarmerie allemande et la police polonaise. L’Aktion finale a commencé – et la révolte éclate. Tosia informe Zuckerman du côté aryen des succès du premier jour par téléphone (à partir d’une usine allemande dans le ghetto). Son rôle au commandement de la ZOB reste, comme auparavant, de relayer des messages et des informations. Le troisième jour, les Allemands commencent à mettre systématiquement le feu aux bâtiments du ghetto. Anielewicz et son état-major déménagent dans un bunker au 18 de la rue Mila, Tosia servant de liaison entre lui et le bunker des blessés, où se trouve Wilner. Lorsque la situation s’aggrave, Wilner est déménagé rue Mila. Tosia sort pour des missions de sauvetage afin de récupérer des combattants piégés dans les secteurs en flammes du ghetto.
Les combats continuent la nuit, mais les bâtiments en feu rendent difficile la sortie des bunkers. C’est seulement alors que l’idée surgit de faire passer clandestinement les combattants du côté aryen par les égouts. Un groupe passe. Un deuxième groupe est sur le point de partir, mais attend son contact. Dans le bunker du 18 rue Mila, où Anielewicz et ses hommes ont déménagé, quelque trois cents personnes sont regroupées dans des conditions d’encombrement indescriptibles. De là aussi, des éclaireurs sont envoyés pour vérifier les voies d’évacuation.
Le vingtième jour des combats, le 8 mai 1943, le bunker est découvert par les Allemands, qui injectent du gaz pour forcer ceux qui se cachent à sortir. Lorsque des ouvertures camouflées sont découvertes, du gaz supplémentaire est injecté. Wilner appele ses camarades à se suicider et la plupart d’entre eux, y compris Anielewicz, le font quand ils ne pouvent plus résister au gaz. Quelques combattants isolés, au nombre de six, parviennent à atteindre une autre ouverture dissimulée. Ils sont retrouvés pendant la nuit, blessés et souffrant du gaz par Zivia Lubetkin et Marek Edelman. Parmi les survivants, se trouve Tosia Altman. Malade, blessée et épuisée, elle s’est échappée du bunker de Zivia Lubetkin par les égouts avec un groupe de combattants. Du côté aryen, elle est hébergée avec plusieurs camarades dans le grenier d’une usine de celluloïd. Pour entrer dans l’usine, ils utilisent une échelle, qui est ensuite enlevée pour éviter la découverte de leur cache.
Le 24 mai 1943, à la suite d’un terrible accident, le feu éclate dans le grenier et se propage rapidement. Quelques camarades réussissent à s’échapper. Tosia, gravement brûlée, essaye de sauter, mais s’effondre, le corps entièrement en flammes. La police polonaise la remet aux Allemands, qui la transfère à l’hôpital. Là, elle meurt sans soins (apparemment le 26 mai 1943), percluse de douleur et peut-être torturée.
Tosia Altman, la première dirigeante du HShomer à répondre à l’appel, fut la dernière à tomber.
La tragédie avait été précédée de tentatives de sauvetage. En Palestine, on estimait avoir besoin d’un compte-rendu de première main. Un émissaire du Yishuv posté en Turquie revint et demanda que son mouvement fasse tout son possible pour sortir Tosia Altman de Pologne. Tosia, dont le seul objectif était la lutte à la vie et à la mort dans le ghetto, n’était pas au courant de cela, et elle ne voulait pas non plus être sauvée.
Tosia, qui représentait le mouvement HaShomer dans les relations clandestines, était un symbole et une légende parmi les membres de son mouvement en Palestine – un symbole rapidement oublié.
(Source: Jewish Women’s Archive)