Sofia (Zosha) Posnanska, l’une des héroïnes juives oubliées de la Seconde Guerre mondiale, n’a vécu que trente-six ans, dont trois durant la guerre en Europe. Zosha, Zoshka ou Zoha, comme l’appelaient ses amis, est née le 8 juin 1906 à Lodz, en Pologne, de Hannah (Anna) Basz et Maurizio (Moshe) Posnanski, dont le père était le cousin d’Israël Kalmanovich Posnanski , un des “rois du coton” de Lódz.
Peu de temps après, la famille déménage à Kalisz et habite sur la belle et élégante rue Alia Jozefina. En 1924, Posnanska termine ses études au lycée de filles à Kalisz. En 1920, elle rejoint le mouvement sioniste-socialiste HaShomer Hatsaïr, fondé en 1913 et établi à Kalisz en 1917.
Le premier amour de Posnanska est Fiszek Kampinsky, qu’elle a rencontré au HaShomer. Avec le frère de Poskanska, Olek et d’autres, Kampinsky était parmi les fondateurs du mouvement à Kalisz, où Posnanska absorbe les valeurs et les opinions intellectuelles et politiques qui deviendront les facteurs formatifs les plus importants de sa vie.
En 1925, Posnanska émigre en Israël, où elle rejoint ses amis au camp du kibboutz d’Afulah qui fonde ensuite le kibboutz Mishmar ha-Emek. Néanmoins, Zosha ne les accompagne pas pour établir un kibboutz en Palestine. Elle a beaucoup de mal à accepter la réalité socio-politique du pays qui, à l’époque, est régi par l’impérialisme britannique et où les habitants sionistes achetent des terres aux effendis arabes, ce qui se traduit souvent par l’expulsion des fermiers arabes qui vivent sur la terre. Selon sa vision socialiste, la terre est censée appartenir aux paysans qui la travaillent et non aux effendis. Quant à l’impérialisme britannique, dans l’opinion de Zosha, il n’a pas de place en Palestine. Après environ un an, Zosha quitte ses amis au camp du kibboutz, et rejoint l’Ihud, un front communiste et plus tard le PKP (le Parti communiste palestinien).
Au début de 1930, elle déménage en France car le PKP n’est pas légal en Palestine et ses camarades sont tôt ou tard expulsés par les Britanniques. Encore en Palestine, elle fait la connaissance de Shmuel Cinnamon, également communiste, qui la précède en France. Elle restera liée à Cinnamon jusqu’à la fin de sa vie, bien que la relation ne soit pas facile et qu’ils se soient séparés et réconciliés à plusieurs reprises.
Jusqu’à sa mort, douze ans plus tard, Zosha vit alternativement à Paris et à Bruxelles, où elle appartient aux groupes d’immigrants de gauche juifs venus d’Europe de l’Est qui poursuivent leur activité politique communiste à l’ouest. Le communisme n’est pas, cependant, le communisme de la terreur stalinienne. C’est une idéologie totale dont la racine est l’aspiration à libérer l’humanité de ses souffrances, de ses inégalités et de son affliction, et à créer un monde de fraternité humaine, sans exploiteurs ni exploités, sans chefs ni sujets, sans violence ni guerre, un monde humain délivré pour toujours de la faim, de la maladie, du racisme, de l’ignorance, de la superstition et du mal, un monde fondé sur une vision du monde rationnelle et égalitaire, pour le bien des êtres humains. Ses camarades et elle croient que le problème du peuple juif sera également résolu dans un tel monde. Au cours des années 20 et 30, de nombreux communistes croient qu’une telle utopie humaine est possible et réalisable. Comme beaucoup de ses camarades, Zosha consacre sa vie à cette idée. A Paris et à Bruxelles, Zosha travaille comme ouvrière d’usine, s’occupe d’enfants et effectue d’autres tâches mal payées, tout en travaillant de toutes les manières possibles à la réalisation de la vision communiste qu’elle partage avec ses camarades.
En Palestine, Posnanska a rencontré Leopold (Leiba) Trepper, un des leaders du PKP là-bas. Trepper, qui a également été expulsé du pays, arrive à Moscou en 1932. En 1938, l’armée soviétique lui confie la tâche d’établir un réseau de renseignement soviétique en Europe occidentale, que les Allemands baptisent “l’Orchestre rouge” quand ils entreprennent de le détruire.
Les premiers à être recrutés par Trepper sont ses camarades du PKP en Palestine, dont Zosha, qui constituent le cercle intérieur du réseau. Trepper a fait la connaissance de Zosha en Palestine, a travaillé avec elle et l’admire beaucoup. Servir dans un réseau de renseignement dans un pays étranger est difficile et dangereux. Elle aurait pu refuser, mais elle accepte, car, comme Trepper lui-même et le reste des membres, elle ne considère pas ce travail comme de l’espionnage en soi, mais comme l’une des voies révolutionnaires pour réaliser la vision communiste au profit de toute l’humanité. Ironiquement, entre 1939 et juin 1941, Zosha et ses camarades fournissent des informations à une URSS qui a signé un pacte avec l’Allemagne nazie.
En 1940, la majeure partie de l’Europe occidentale passe sous contrôle allemand. Les conditions pour l’activité de renseignement soviétique deviennent beaucoup plus difficiles. Zosha aurait pu refuser de continuer. Elle obtient même un visa pour son amie, Sonia Kestner, qui l’utilise pour fuir la France vers les États-Unis, mais elle n’en obtient pas pour elle-même. Lorsqu’on a demandé à Sonia, pourquoi Zosha n’avait pas obtenu un visa pour se sauver aussi, elle a répondu: “Elle avait un travail à faire”. Elle combat les nazis dans l’arène inhabituelle d’un réseau de renseignement militaire soviétique. Il faut se souvenir que, entre juin 1941 et juin 1944, l’armée soviétique est la principale force militaire et presque la seule qui lutte contre les Allemands sur le sol européen. À ce moment-là, le destin du monde dépend de sa victoire ou de sa défaite, et le renseignement joue un rôle relativement important dans sa capacité de combat. Le travail de Zosha dans le réseau consiste à coder les messages au sein de l’unité de transmission, située dans la Bruxelles occupée. Dans les premiers mois de l’invasion allemande de la Russie, c’est quasiment la seule unité de transmission active du réseau. La plupart des informations recueillies en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Belgique sont transmises à la centrale de renseignement à Moscou par son intermédiaire. Elle doit effectuer une quantité énorme de travail et, contrairement à toutes les règles de sécurité, elle ne diffuse pendant vingt minutes à des horaires variés, ce qui aurait rendu très difficile sa localisation, mais pendant cinq heures d’affilée tous les soirs. Les renseignements transmis à l’armée soviétique sont d(importance vitale et concernent tous les différents aspects de la machine militaire allemande. Hitler, qui a déclaré: “Les Russes nous surpassent dans un domaine – l’espionnage”, a ordonné la destruction du réseau à tout prix. L’unité de transmission-radio, deux opérateurs-radio, une ménagère et Zosha, sa seule codeuse, est capturée par les Allemands le 13 décembre 1941 après une demi-année d’activité.
Les opérateurs-radio et Zosha sont jetés en prison. Pendant neuf mois et demi, elle reste entre les mains de la Gestapo, interrogée avec une cruauté bestiale. Une compagne de cellule qui a survécu a raconté qu’elle revenait de ces interrogatoires plus morte que vive. Leopold Trepper, le commandant du réseau, a déclaré plus tard, que si elle avait parlé, le réseau “Orchestre rouge” serait tombé immédiatement. Elle connaissait le code, que les Allemands cherchaient en vain à percer depuis des mois, et elle connaissait les membres de haut rang du réseau. Le 28 septembre 1942, elle se pend dans sa cellule, ayant gardé le silence jusqu’à la fin.
L’État d’Israël lui a décerné une décoration posthume en tant que combattante contre les nazis mais aucun kibboutz, aucune rue en Israël ne porte son nom. Elle serait restée oubliée, si l’écrivaine israélienne Yehudit Kafri, n’avait découvert en faisant des recherches pour une biographie sur son père, Fishek Kafri (Kempinsky) que Zosha avait son premier amour du temps où ils militaient ensemble au HaShomer de Kalisz. S’en suivirent 5 années de recherche documentaire, des centaines d’interviews pour publier en 2003, “Une femme nommée Zosha”, un épais roman biographique qui narre sa vie de sa naissance à sa mort.
Zosha Posnanska était une femme belle et un très bel être humain, qui possédait une extraordinaire force intérieure.
(Sources: Jewish Women’s Archive et Haaretz)