“Elle avait des yeux flamboyants et un regard pénétrant”, rappellaient ceux qui ont connu Zivia Lubetkin, ajoutant qu’elle “était simple et directe, exigeant le maximum d’autrui et d’elle-même. Pour elle, la pensée et l’action ne faisaient qu’un.”
Zivia Lubetkin est née le 9 novembre 1914 dans une famille juive traditionnelle aisée dans la ville de Beten dans l’est de la Pologne où, en 1880, son père, Ya’akov-Yizhak, qui dirigeait une petite entreprise, était né également. Sa mère, Hayyah (née Zilberman), était née en 1882 à Useten. Pendant le Khurbn, les parents de Zivia se cachent, mais sont découverts en 1942 et abattus sur place.
Zivia Lubetkin étudie dans une école publique polonaise et reçoit une formation en hébreu auprès de tuteurs privés. Depuis son enfance, elle est membre du mouvement sioniste-socialiste Freiheit (Liberté), qui l’envoie au kibboutz de Kielce. Là, avec d’autres jeunes, elle étudie et travaille (à la boulangerie, la lingerie, les latrines et dans les champs). Elle répond à l’appel à He-Halutz à Varsovie, où elle est nommée coordinatrice du département de formation et voyage d’une localité à l’autre, pour enseigner et stimuler.
Elle est l’une des porte-drapeaux lorsque Freiheit se joint à He-Halutz en 1938. Cette unification entraîne la fondation du mouvement Dror, ainsi qu’une augmentation du nombre de personnes qui rejoignent le mouvement unifié. Au cours de l’hiver 1938-1939, elle travaille principalement au renouvellement et au réaménagement des centres de formation, ce qui lui confert son statut de leader dans le mouvement. Elle est admirée à la fois par les jeunes et par ses collègues de l’éducation et de l’administration.
En 1939, elle se rend à Genève pour le vingt et unième congrès sioniste en tant que déléguée du bloc travailliste d’Erez Israël, revenant en Pologne avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la guerre commence, le comité central de He-Halutz décide que les émissaires d’Erez Israël devront y retourner et élisent un conseil de remplacement, qui comprend Zivia, pour préserver le mouvement et le préparer aux éventualités futures.
Zivia se rend à Kowel, qui sert de plaque tournante pour les membres du comité central He-Halutz et des groupes d’entrainement, qui se sont repliés vers l’est, vers les régions conquises par les Soviétiques le 17 septembre. À partir de là, elle se rend à Lvov, sous contrôle soviétique, et y participe aux activités clandestines du mouvement. C’est là que le mouvement pionnier décida de sa politique dans son nouvel environnement clandestin.
Zivia fait partie d’un des premiers groupes qui quittent la zone contrôlée par la Russie pour celle sous contrôle allemand. En janvier 1940, elle atteint Varsovie et continue son activité clandestine dans la maison du Dror au 34, rue Dzielna, qui sert de centre de soutien et d’information pour les membres de Dror et de Gordonia et aussi de cuisine publique. Dans le ghetto, Zivia est responsable du système organisationnel et des communications avec l’extérieur. Elle négocie avec le Joint Distribution Committee et le Judenrat les fonds pour les besoins quotidiens des membres du mouvement et des personnes à leur charge. Au sein du mouvement, elle est décisionnaire lors de moments critiques. Lorsque la situation à Lodz se détériore, elle exige que les membres féminins qui y restent soient évacuées afin de ne pas mettre leur vie en danger. Elle participe aussi activement aux discussions sur l’établissement de fermes agricoles qui fourniront aux membres du travail, un revenu et un milieu social, ainsi qu’un certain éloignement de la vie dégradante du ghetto.
À l’automne 1941, l’arrivée à Varsovie d’une délégation conjoint du Ha-Shomer et du Ha-No’ar ha-Ziyyoni cristallise son attitude envers l’extermination totale. Réalisant l’ampleur de l’anéantissement, elle décide de résister. “Après avoir entendu parler de Vilna d’une part et de Chelmno de l’autre, nous nous sommes rendu compte que c’était systématique. … Nous avons arrêté nos activités culturelles … et tout notre travail était désormais consacré à la défense active “, a-t-elle témoigné au procès d’Adolf Eichmann (1960-1962).
Lors des “Aktion” et des tueries, elle est parmi les fondateurs du bloc anti-fasciste, la première organisation du ghetto de Varsovie à s’engager dans des combats armés contre les Allemands. Le 28 juillet 1942, lors de la déportation de masse de Varsovie, elle est parmi les fondateurs de l’Organisation Juive de Combat (Zydowska Organizacja Bojowa, ZOB), membre de son commandement et parmi ceux qui planifient son organisation. Elle est également membre du Comité National Juif (Zydowski Komitet Narodowy), la direction politique de la ZOB, ainsi que membre du Comité de coordination juive (le comité qui assure la coordination avec le Bund). Zivia participe à la première opération de résistance de la ZOB en janvier 1943 et à l’insurrection du ghetto de Varsovie en avril 1943.
Après les premiers jours de combats lors de la révolte d’avril 1943, les combattants piégés dans le ghetto bombardé et en feu sont condamnés à des semaines de mort et d’extermination. Pendant cette période, Zivia assure la liaison avec groupes de combattants qui, avec la population générale, se cachaient dans les bunkers. Elle circule entre les différents bunkers et maintient la communication entre la direction de l’insurrection et les combattants qui sont restés dans le ghetto en flammes. La veille de sa découverte par les Allemands, le commandement de la ZOB, situé au 18 rue Mila, décide que Zivia doit partir chercher une connexion vers l’extérieur via les égouts qui conduisent du côté aryen. Le 10 mai 1943, elle traverse les égouts avec les derniers combattants.
Zivia Lubetkin est l’une des 34 survivants de l’insurrection du Ghetto de Varsovie.
Jusqu’à la fin de ses jours, elle sera hantée par la pensée qu’elle avait abandonné ses amis restés derrière à une mort certaine. Jusqu’à la fin de la guerre, elle se cache dans la Varsovie polonaise, engagée dans la résistance et dans l’insurrection d’août à octobre 1944, dans une unité de la ZOB qui avait rejoint les unités de combat de Gwardia Ludowa, la résistance communiste polonaise. En novembre 1944, elle est secourue dans une cache où elle s’était réfugiée avec les derniers combattants de l’insurrection..
Elle arrive dans Varsovie libérée en janvier 1945, avec Yizhak (Antek) Cukierman. Elle se range parmi les défenseurs les plus vigoureux du renouveau du mouvement et de son transfert rapide en Palestine. Elle part à la recherche de tous les juifs rescapés, à la rencontre des trains qui transportent des rapatriés de l’Union soviétique et crée des kibboutzim et des lieux de formation. “Cependant, en dépit des approches différentes, nous étions tous conscients d’une chose: nous ne pouvions pas reconstruire nos vies en ruines en Pologne. … Nous avions sous les yeux des dizaines de milliers de Juifs et savions que la seule solution pour eux était de les faire sortir vers Erez Israël immédiatement “.
En apprenant qu’il y avait quinze mille juifs à Lublin, elle et Cukierman s’y installent, rencontrent les membres survivants du groupe qui s’étaient rassemblés autour d’Abba Kovner, ainsi qu’avec les membres de He-Halutz arrivés d’Union Soviétique. Kovner présente sa vision d’un exode massif hors d’Europe, tandis que Zivia décide d’émigrer en Palestine le plus rapidement possible. Le 1er mars 1945, équipée d’un certificat de réfugié grec, elle quitte Lublin avec Kovner et les membres de son groupe en route vers la Roumanie. Ils sont stoppés à la frontière, mis en état arrestation, interrogés et libérés par un officier juif du NKVD. Quand ils atteignent Bucarest, ils apprennent que le chemin vers la Palestine par la Roumanie est bloqué. Zivia revient à Varsovie, contrainte d’attendre plus d’un an pour rejoindre la Palestine.
La première conférence du Groupe Ouvrier Erez Israel a lieu à Lodz en juin 1945. Cukierman, Zivia et Haika Grosman oeuvrent à créer les cadres pour l’Aliya de la jeunesse pour réhabiliter les survivants et absorber ceux qui sont venus d’Union soviétique, leur intention étant d’assurer l’unification politique de l’ensemble de la communauté pionnière. À partir d’octobre 1945, la centrale du Dror fonctionne à Lodz. Le bureau de Cukierman et Zivia sert à la fois de centre social et d’un centrale du mouvement, où les émissaires de Palestine trouvent également trouvé leur premier foyer. Zivia guide les premiers pas des émissaires envoyés par le Mouvement Unifié des Kibboutz dans la réalité politique complexe de la Pologne. Comme par le passé, elle est un appui important pour les membres du groupe émergent de jeunes formateurs et pour les émissaires du Yishuv, qui l’ont décrite avec Cukierman comme les «leaders spirituels des survivants».
Dès le début, Zivia définit la réhabilitation des She’erit ha-Peletah (survivants de la Shoah) comme le devoir du Yishuv, soulignant l’incapacité des dirigeants survivants de la révolte à faire face aux problèmes complexes qui apparaissent. De fait, elle impose la responsabilité des rapatriés et du mouvement He-Halutz en Pologne aux émissaires de Palestine. Pour réaliser son désir d’émigrer en Palestine, elle quitte la Pologne en mai 1946, passe par Alexandrie et arrive à destination en juin. Là les membres du Mouvement ouvrier, Haganah, Palmah et ses collègues lui font une accueil extraordinaire. L’émotion à l’arrivée de Zivia rappelle les éloges funèbres délivrés lors de sa mort supposée en 1943, qui voyaient rassemblés en elle tous les symboles éminents de la renaissance sioniste, du courage de Masada à l’insurrection pionnière dans les ghettos en passant par la bataille héroïque à Tel-Hai.
En juin 1946, Zivia prononce un discours lors de la conférence du Mouvement du Kibbutz des États-Unis à Yagur. Pendant une journée entière, elle se tient dans une immense tente, pour rendre compte des «Jours de destruction et de révolte» (ainsi qu’elle a intitulé plus tard son livre sur le sujet). Partie principale de sa rencontre avec le Yishuv, son discours est reçu par la direction du mouvement ouvrier comme le symbole de l’héroïsme pionnier. Son compte-rendu, transmis clairement et fermement, devient la déclaration du mouvement pionnier pendant la Shoah. Beaucoup de gens entendent le terrible récit, qui comprend également des informations sur le sort d’un individu et d’une famille – un destin partagé par beaucoup de ses auditeurs. Son histoire est publiée en feuilleton dans les publications du mouvement ouvrier. L’hebdomadaire Devar ha-Shavua publie sa photo en première page, ainsi que deux citations qui montrent le lien entre son témoignage et le Yishuv. Le Mouvement des Kibboutz unis se rend compte que Zivia et Cukierman ont une grande influence sur les membres des kibboutz originaires de Pologne, arrivés des camps de personnes déplacées en Allemagne et dont l’installation en Israël est importante pour le mouvement. Le couple lui-même ne sait pas quel kibboutz choisir. Zivia va à Yagur et il on peut considérer son arrivée là-bas comme le début du réseau social des combattants des ghettos. Le premier groupe de base, devenu plus tard le Kibbutz Lohamei ha-Getta’ot (le Kibbutz des combattants des ghettos) se forme à Yagur à l’initiative de Zivia et grâce à ses efforts énergiques. Seuls ou en petits groupes, les survivants viennent à Yagur et se rassemblent autour d’elle. En juin 1947, ce groupe, avec Zivia et Cukierman (qui se sont mariés cette année-là), compte cinquante-deux membres. Le 19 avril 1949, la création du kibboutz Lohamei ha-Getta’ot (à 4 km au nord d’Accre) est annoncé. L’inauguration a lieu lors de l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Depuis lors, deux cérémonies distinctes sont organisées: une en février, pour commémorer la création du kibboutz et l’autre le 19 avril, date de la pose de la première pierre lors de l’anniversaire de l’insurrection. Zivia et Cukierman construisent leur maison et élevent leur famille au Kibbutz Lohamei ha-Getta’ot et le groupe central se forme autour d’eux, avec Havka Pullman, Sarah Nashmit et Zvi Shinar. Zivia assiste au Congrès sioniste à Bâle en 1946 en tant que représentante du Mouvement unifié des Kibboutz. Lorsqu’elle monte à la tribune, le Congrès se lève pour applaudir la pionnière et la combattante. Elle est gênée, mais aussi profondément déçue que les discussions du Congrès ne concernent absolument pas la Shoah en dehors d’une cérémonie dépourvue de tout représentant des combattants des ghettos.
Zivia devient une ambassadrice du mouvement et plus tard est active au secrétariat du Mouvement des Kibboutz unis, à la Histadrout et dans l’Organisation sioniste. Elle combine le travail manuel au kibboutz avec ses activités publiques. Même si elle a été l’une des fondatrices de la Maison du Témoignage sur la Shoah et l’Insurrection “Itzhak Katzenelson”, elle choisit de ne pas s’occuper elle-même du travail de mémoire et de documentation. Elle choisit également de ne pas être une personnalité officielle. Après une brève période au cours de laquelle elle est directrice du Département Aliyah de l’Agence juive, elle retourne au travail dans la cuisine, le poulailler et le service de comptabilité. Elle est secrétaire du kibboutz plusieurs fois, plus longtemps que tout autre membre. En 1954, elle suit les cours du premier séminaire à Efal, le centre d’apprentissage du Mouvement Unifié des Kibboutz.
En 1961, elle témoigne lors du procès du criminel de guerre nazi capturé, Adolf Eichmann. Elle y prononce ces mots.
«J’ai vu les milliers d’Allemands qui entouraient le ghetto armé de mitrailleuses et de canons, et ils commencèrent à pénétrer avec des milliers de soldats armés comme s’ils se rendaient sur le front russe. Et nous nous sommes opposés à eux, une vingtaine de jeunes hommes et femmes. Nos armes? Chacun d’entre nous avait un pistolet et une grenade, deux fusils pour nous tous, des bombes artisanales primitives dont il fallait allumer la mèche avec des allumettes et un cocktail Molotov. . . . C’était étrange de voir la vingtaine de jeunes juifs et juives, heureux et pleins d’enthousiasme face à cet ennemi puissamment armé. Pourquoi heureux et enthousiastes? Parce que nous savions que leur fin viendrait. Nous savions qu’ils nous vaincraient d’abord, mais nous savions aussi qu’ils paieraient cher pour nos vies. Et ils l’ont payé. C’est difficile à décrire, et beaucoup ne nous croient pas, mais quand les Allemands s’avancèrent et marchèrent au-dessous de nous, que nous avons lancé les grenades et les bombes et avons vu du sang allemand dans les rues de Varsovie, après que tant de sang et de larmes juives avaient coulé dans les rues de Varsovie – nous étions remplis de bonheur et nous ne nous soucions pas de ce qui se passerait le lendemain. “
et encore
“Je me souviens aussi que, le deuxième jour, c’était le Seder de Pesakh – dans l’un des bunkers par j’ai rencontré par hasard Rabbi Meisel. Il y avait eu des contacts entre nous et lui, depuis les débuts de la résistance du Halutz, en temps ordinaire aussi. La résistance du Halutz, dans ses opérations, n’avait pas toujours eu la vie facile avec la population juive – ils ne nous acceptaient pas toujours. Il y avait ceux qui pensaient que nous leur faisions du tort, comme je l’ai souligné, la responsabilité collective, la peur des Allemands. Mais cette fois, lorsque je suis entrée dans le bunker, ce Juif, Rabbi Meisel, interrompit le Seder, posa sa main sur ma tête et dit:
Que vous soyez bénis. Maintenant, je peux mourir. Nous aurions du faire cela plus tôt.”
Zivia Lubetkin continue à vivre comme un membre ordinaire dans sa maison au kibboutz jusqu’à sa mort le 11 juillet 1978 à l’âge de soixante-quatre ans. Ses enfants, Shimon (1947) et Yael (1949), naissent au Kibbutz Lohamei ha-Getta’ot, où ils vivent encore.
Sa petite-fille, Roni Zuckerman, est devenue la première femme pilote de l’Armée de l’Air israélienne en 2001.
Le livre de Lubetkin “Les jours de destruction et de révolte” a été publié en 1979. En 1980, son discours à la convention du kibboutz à Yagur a été publié dans plusieurs éditions en hébreu et dans d’autres langues.
(Sources: Tikva Fatal Kna’ani in Jewish Women’s Archive, Jewish Currents et Echoes and Reflections)
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