“Nous n’avions pas le privilège de choisir entre la conversion au christianisme et se sacrifier pour sanctifier le nom de Dieu; en cela, nous avons différé de nos ancêtres. … Nous avons eu le choix de la manière de vivre jusqu’à la fin comme Juifs libres et de mourir en tant que personnes libérées.” Ainsi, en 1982, Rozka Korczak-Marla se réfère-t-elle au choix fait par les membres des mouvements Halutz dans le Ghetto de Vilna.
Rozka nait en avril 1921 à Bieslko, un petit village riverain de la Vistule, qui ne compte que quarante familles juives. Son père Gedaliah est marchand de bétail, un Juif respectueux de la tradition et aspirant sioniste. Deux sœurs plus jeunes, Teibel et Rachel périront avec leur mère Hinda en 1942.
Comme il n’y a pas d’école juive dans son village, Rozka étudie dans une école polonaise. En quatrième, elle organise une grève des élèves juifs pour protester contre les remarques antisémites du directeur. Dans le même temps, elle étudie aussi les Écritures et le Talmud dans un kheder, assise à une table de côté, non autour de la table centrale, réservée aux garçons.
A la suite de la dégradation de leur situation financière, la famille déménage à Plock (94 kilomètres au nord de Lodz) en 1934. Malgré son désir d’apprendre, Rozka, âgée de quatorze ans, décide de travailler en raison de la pénurie d’argent dans la famille. Elle complète ses connaissances en assistant aux cours du soir et en lisant des livres. “Ce sont mes universités”, at-elle dit. Après avoir lu “Auto-émancipation” (1882) de Leon Pinsker, elle trouve sa voie vers le Ha-Shomer HaTsaïr, où elle devient instructrice et membre de la direction. Sa loyauté envers le mouvement socialiste la met rapidement en conflit avec le mode de vie traditionnel à la maison. Rozka, fidèle à sa promesse, part en excursion avec son groupe à Yom Kippur, mais elle observe quand même le jeune!
Après le début de la Seconde Guerre mondiale et l’entrée des Allemands à Plock, elle est témoin d’actes de violence et d’humiliation contre les Juifs. Peu après, elle informe ses parents qu’elle part rejoindre ses camarades dans le «mouvement». À Varsovie, en novembre 1939, elle rencontre Tosia Altman (1918-1943), qui l’informe de la réunion des membres du mouvement à Vilna. Là, elle apprend la mort de son père et la déportation de sa famille vers Piotrkow Trybunalski (45 km de Lodz). Elle rejoint la communauté et travaille avec Vitka Kempner et d’autres, rinçant des poils de cochon pour l’industrie de fabrication de brosses. Le HaShomer entre dans la clandestinité après l’annexion de la Lituanie en juillet 1940, y compris Vilna, par Union Soviétique. En plus de son travail, Rozka assiste à une école secondaire du soir pour améliorer sa connaissance du yiddish et de la culture juive. Le 24 juin 1941, deux jours après l’invasion de l’Union soviétique, les Allemands occupent Vilna. Rozka et ses camarades décident de s’échapper vers l’Est et de rejoindre l’Armée rouge, mais l’armée allemande les dépasse.
En juillet, les Allemands et les volontaires lituaniens rassemblent cinq mille hommes juifs et les amenent à Ponary (à 12 kilomètres de Vilna) où ils sont assassinés. C’est le premier, mais pas le dernier meurtre de masse de Ponary. Les membres du mouvement essayent de se protéger avec des faux papiers. Le 6 septembre 1941, deux ghettos, pour 28 000 juifs qui ont échappé au massacre, sont établis à Vilna. Le ghetto n ° 2 comprend la population “superflue”, destinée à l’extermination. Tandis que l’horrible vérité sur les meurtres de masse atteint les personnes restantes dans le ghetto, les membres du mouvement débattent de leur engagement ultime: doivent-ils rester avec la communauté à Vilna ou la quitter pour un autre ghetto “sûr”? Rozka est parmi ceux rprésents lors de la réunion historique à la veille du 31 décembre 1941, au cours de laquelle Abba Kovner lit à voix haute un manifeste qui déclare notamment: “Hitler envisage de tuer tous les Juifs d’Europe. … N’allons pas comme des moutons à l’abattoir. “Le 21 janvier 1942, une organisation de combat juive est créée, le Fareynegte Partizaner Organizatsye (l’Organisation de l’Union des Partisans, FPO). Rozka, qui a relaté ce rassemblement dans son livre “Flammes dans les Cendres”, a insisté à la fois en 1945 et en 1988: “Vous ne pouvez en aucun cas dire que quiconque a soutenu l’insurrection est devenu un héros, ni que quiconque s’y est opposé était un lâche. Ce n’était pas réparti comme ça.”
Tout en prenant une part active à la création de la FPO, elle s’occupe des orphelins et devient également une “mère” pour ses camarades. Dans le même temps, elle travaille dans la bibliothèque du ghetto.
Dans la nuit du 15 juillet 1943, lorsque Jacob Gens (1905-1943), le chef du Judenrat, conformément à la demande allemande, s’apprête à leur remettre le chef de la FPO, Itzik Wittenberg, Rozka et Vitka Kempner, avec d’autres personnes, sauvent leur commandant dans une opération courageuse. Toutefois, en raison de la confrontation sévère entre le FPO et les Juifs du ghetto, Wittenberg se livre lui-même aux Allemands. Dans son livre, Rozka décrit l’isolement des membres de la résistance, la responsabilité qu’ils ressentent pour la communauté juive et leur résolution à partir pour la forêt. Elle-même fait partie du dernier groupe de combattants qui, en septembre 1943, quittent le ghetto par les égouts pour les forêts de Rudninkai, en transportant les archives du mouvement et les poèmes d’Abba Kovner sur son dos. Dans la forêt, une brigade partisane juive autonome avait été organisée sous le commandement d’Abba Kovner. Chargée de la gestion de la vie de l’unité juive au campement, Rozka s’occupe de l’acquisition et de la distribution de nourriture, de l’organisation de la blanchisserie et des équipements, autant de problèmes complexes dans la dure réalité de pénurie sévère et de pauvreté. En même temps, comme d’autres femmes, elle lutte pour le droit de participer au combat. “Je me souviens que pour la première opération, j’ai été choisie avec une de nos camarades. Nous avions l’impression que tout le sort du sexe féminin dépendait de nous. Si nous remplissions la tâche qui nous avait été confiée, nous allions ouvrir la voie aux autres filles. “
Le 13 juillet 1944, Vilna est libérée et Abba Kovner, Vitka Kempner et Rozka Korczak retournent dans la ville, avec plusieurs centaines de survivants. Ils découvrent que le ghetto a été totalement détruit. Dans cette situation, ils décident d’organiser les Juifs restants et les réfugiés, en vue de l’émigration en Palestine. Rozka part pour Kovno pour chercher des survivants, des partisans et des membres du mouvement. En décembre 1944, Kovner a envoyé Rozka et le Dr Shlomo Amarant pour trouver des voies de passage vers les ports de la Roumanie et de la mer Noire. A Bucarest, les émissaires de HeHalutz lui demandent de partir pour la Palestine et de révéler son histoire au public juif. Sa première résidence est au kibboutz Eilon où, en 1945, elle commence son grand livre de témoignage, “Flammes dans les cendres”. En janvier 1945, elle s’adresse à l’exécutif du HaShomer, et leur dévoile le récit d’agonie, d’extermination et d’héroïsme durant le Khurbn. Jeune femme menue, aux traits délicats et au sourire modeste aux coins de la bouche, parlant yiddish d’un ton calme et discret, elle est parmi les premières à présenter l’histoire de la destruction et de l’héroïsme à l’élite juive de Palestine. En employant la terminologie de la douleur et de la force, elle présente au public un compte rendu complet et détaillé des événements de la Shoah, en décrivant comment la notion de résistance armée s’était cristallisée parmi les membres des mouvements des pionniers, qui fonctionnaient comme l’avant-garde et la direction du peuple juif pendant la Shoah.
En même temps que Vitka Kempner, Abba Kovner et Chesia Rosenberg, Rozka est admise au kibboutz Ein ha-Horesh en octobre 1947. Elle se mariée avec Avi Marla. Le couple aura trois enfants.
Rozka s’intégre dans la vie au kibboutz en tant qu’éducatrice et personnage public. Elle occupe deux mandats de secrétaire du kibboutz, de 1958 à 1961 et de 1980 à 1981. Elle se perçoit comme éducatrice en raison de la détermination et de l’attitude humaine qu’elle avait tirée de son expérience personnelle dans la Shoah. Dans un débat tenu en 1974, elle déclare: “Nous aurons échoué si nous n’avons pas la volonté de leur répondre [aux jeunes] de façon honnête, de manière claire. Nous, y compris le peuple juif dans sa propre patrie, devons tous apprendre et enseigner comment vivre avec la réalité dangereuse appelée le judaïsme, tout cela avec amour et avec une conscience critique. Cependant, nous devons vivre avec les aspects qui posent problème, car nous n’avons pas d’autre vie “.
Rozka est un membre dévoué et fidèle du kibboutz. Pourtant, la direction la considère, comme tous les survivants, comme ayant besoin de «rééducation». En 1947, elle obéit à une décision de reporter ses études, malgré son désir d’apprendre. Elle accepte le verdict selon lequel l’étude «n’est pas recommandée». Elle accepte, “non sans rancune, mais pleinement consciente de la nécessité de le faire.” Comme, contrairement à Kovner, elle n’est pas perçue comme menaçante par les dirigeants de son mouvement, elle est engagée en 1947 pour travailler parmi les partisans nouvellement immigrés afin de les aider à s’adapter à la réalité en Palestine.
Dans les années soixante, en tant que partenaire et, plus tard, chèfe de Moreshet, un institut établi par le Kibbutz ha-Arzi pour mener des recherches, recueillir des témoignages et publier de la littérature et des travaux de recherche sur la Shoah, elle participe pleinement à tous les livres, brochures et événements. Grâce à sa critique subtile, son sens de l’humour et sa sensibilité, elle joue un rôle central en tant qu’éditrice et figure faisant autorité dans divers aspects de l’édition et de la publication. Dans un discours prononcé en 1984, lors du vingtième anniversaire de la publication de la première brochure de Moreshet, elle souligne l’importance de publier des témoignages et des journaux de la Shoah autant que de se consacrer à la recherche. Ces témoignages doivent représenter «la perspective humaine, éthique, nationale et spirituelle de l’existence juive pendant la Shoah», déclare-t-elle. Ses tentatives avec d’autres pour ériger le bâtiment du Moreshet échouent. Au cours de la dernière année de sa vie, elle se plaint amèrement de cet échec: «La commémoration est la tâche du mouvement, pas la mienne. J’ai fait ma part. Pendant des années, personne dans le kibboutz ha-Arzi ne s’en est occupé. Ce mouvement et sa direction actuelle sont indignes du mouvement qu’ils avaient à l’étranger “.
Rozka montre une capacité exceptionnelle à écouter les gens et à faire preuve d’empathie avec ceux qui l’approchent, au kibboutz et à l’extérieur, ainsi qu’au Moreshet. Elle prête l’oreille aux personnes en détresse et elles la consultent sur diverses questions, même lorsqu’elle occupe des postes officiels. Elle continue son activité au Moreshet jusqu’à ses derniers jours, à lire, à écrire et à conseiller, dégageant amour et soutien pour les auteurs, se tenant humblement en retrait. En revanche, elle parle très volontiers de sa famille, de ses enfants et de ses petits-enfants. Au long des années, une amitié profonde se développe entre la famille Korczak-Marla et les Kovners, d’autant plus qu’ils constituent une entité sociale unique.
Rozka Korczak-Marla est morte d’un cancer le 5 mars 1988. Ses enfants ont écrit après sa mort: “Notre mère a vécu une vie de dévouement et ce mode de vie est devenu pratiquement un trait de caractère”.
(Source: Neima Barzel in Jewish Women’s Archive)
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