Lorsqu’il naît à Dvinsk dans la Russie tsariste en 1903, Marcus Rothkowitz connaît dès le départ la complexité d’être à la fois russe et juif. Le départ sans retour vers l’Amérique ne fera que multiplier son problème d’identité.
Sa vie durant, il revendiquera son origine russe, aimera parler le russe et le yiddish, aura une nostalgie, un fond de mélancolie, des abîmes de tristesse et de rêverie dignes d’un personnage dostoiëvskien. Les rouges et ors de sa peinture abstraite, sa puissance d’irradiation expriment sa nature orientale, et transposent la force naïve et mystique des icônes. Certes, Rothko ne gardera pas leur imagerie religieuse, mais leur rayonnement sacral sera bel et bien repris. D’ailleurs, la similitude entre la composition plane de l’icône et celle de la toile non-figurative saute aux yeux. Et la planéité devait, selon lui, éliminer l’illusion.
L’artiste d’avant-garde typiquement new-yorkais que Mark deviendra aura constamment maille à partir avec sa dualité natale : juif d’une Russie antisémite, russe projeté dans une Amérique pragmatique en voie de modernisation accélérée. Il prendra la nationalité américaine en 1938 et changera légalement son nom en Mark Rothko 2 ans plus tard.
Russe, juif, américain, tels seront les points de la constellation rothkienne, avec pour les langues : le russe, le yiddish, l’hébreu, l’anglais. Ce multiculturalisme n’a rien de rare, il est le lot de beaucoup d’émigrants, et constitue un des défis que Rothko devra relever.
Cet élan créateur sera stoppé par la maladie, un anévrisme de l’aorte handicapant qui l’empêchera de peindre des grands formats. Mark Rothko se suicidera en 1970 à New York.
« Mes tableaux peuvent avoir deux caractéristiques. Soit leur surface se dilate et s’ouvre dans toutes les directions, soit elle se contracte et se referme dans toutes les directions. Entre ces deux pôles, on trouve tout ce que j’ai à dire. »
« Chaque forme, chaque espace qui n’a pas la pulsion de la chair et des os, la vulnérabilité au plaisir et à la douleur n’est rien. Toute peinture qui ne témoigne pas du souffle de la vie ne m’intéresse pas. »
« A ceux qui pensent que mes peintures sont sereines, j’aimerais dire que j’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface. »
« L’art recèle toujours des évocations de la condition de mortel. »